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Séparer la vente et le conseil, une opportunité pour réinventer le modèle de l'agrodistribution


La réforme de la distribution des produits phytosanitaires souhaitée par Emmanuel Macron, avec la séparation du conseil et de la vente, engendre un casse-tête organisationnel pour les distributeurs. Il s'agit aussi d'une bonne occasion pour revenir à l'essentiel : le besoin des agriculteurs.


Si elle est mise en œuvre, la séparation de la vente et du conseil en produits phytosanitaires va bouleverser la distribution agricole.

« Promesse de campagne, réaffirmée en octobre dernier, confirmée en janvier 2018, le président Macron a engagé la réforme : "Les activités de commercialisation et de conseil à l’utilisation des produits phytosanitaires ne pourront être effectuées que par des sociétés sans lien capitalistique".

Le projet de loi est désormais finalisé et la mise en œuvre se fera, dès validation de la loi, par ordonnance, dans un délai de six mois. Le vendeur ne pourra désormais dispenser qu’un conseil aux conditions d’utilisation du produit, tandis que l’agriculteur devra recourir à un conseil annuel stratégique de prescription.

Enfin, s’est rajouté, en toute discrétion, ce qui pourrait induire un véritable bouleversement de la mise en marché : « A l'occasion de la vente de produits phytopharmaceutiques, les remises, rabais, ristournes, la remise d'unités gratuites et toutes pratiques équivalentes sont interdits ». Ceci s’adresse aux fournisseurs comme aux distributeurs, qui deviendront les pharmaciens du végétal !

Il reste encore quelques points structurants à clarifier notamment la notion de lien capitalistique ainsi que les obligations et le contenu du conseil annuel stratégique (pour le prescripteur et pour l’agriculteur). Ces étapes seront déterminantes pour permettre notamment à chaque distributeur agricole de se positionner et de mettre en place sa conduite du changement. Rappelons enfin que cette scission légale ne concernera « que les produits phytosanitaires » au sein des autres intrants, un casse-tête organisationnel à intégrer dans la gestion quotidienne du distributeur et de la relation avec l’agriculteur.


À la veille d'un changement profond du métier

Dans tous les cas, la mise en marché va radicalement changer. Le prix du produit ne sera plus un montant acceptable par le marché sur lequel s’appliquent des remises plus ou moins variables, mais un prix de base produit fixe, auquel s’ajouteront différentes prestations de services (packaging, logistiques, financières + conseil d’utilisation). La valorisation du conseil au champ sera exclue de cette construction, alors qu’elle permettait d’absorber le coût des forces de vente terrain et contribuait au développement d’autres activités. Les distributeurs vont devoir faire face à une perte pouvant s’élever à plus de 50 % des recettes inhérentes alors que celles-ci représentaient souvent la principale source de financement. Pour autant, ils devront continuer à souscrire et à développer les Certificats d’économie des produits phytosanitaires(CEPP).

Quid des centrales d’achats ?

La différenciation tarifaire se fera donc désormais sur « les services ». Se pose alors la question du maintien des centrales de massification, pour celles qui n’agissent pas sur les flux physiques de produits. Quelle valeur restante pour un seul référencement, une commande centralisée si in fine la politique de services qui devient le principal élément de différenciation, continue à se négocier directement entre fournisseurs et distributeurs ?

Les fournisseurs seront-ils épargnés ?


Les fournisseurs vont devoir aussi procéder à des mutations importantes face à la baisse de consommation inhérente et à celle de leurs revenus. Avec une protection chimique de plus en plus assimilée à un « mal nécessaire » à la production, et de moins en moins au progrès scientifique, l’innovation devra s’orienter vers l’efficacité économique et environnementale de la protection et vers le développement de solutions alternatives.

Reste à savoir si tous les acteurs souhaitent investir sur ces nouvelles pistes et si, dans un souci d’économie, tous continueront à distribuer leurs produits selon le schéma actuel ou recourront à des plateformes de vente digitales.

L’agriculteur sera-t-il gagnant ?


Facialement, les agriculteurs vont peut-être se réjouir d’une baisse du prix unitaire du produit atténuée néanmoins par l’inflation significative annoncée des Redevances pollution diffuses (hypothèse d’une majoration RPD de 1 €/ha). Mais ils devront aussi accepter une facture complémentaire de conseil stratégique de 3 à 5 €/ha, qui pourrait atteindre jusque 10 €/ha dans le cas d’un suivi parcellaire en grandes cultures.

La baisse des prix absorbera-t-elle le surcoût ? Cela sera le délicat équilibre à trouver entre la maîtrise des coûts de production des agriculteurs et le devenir des distributeurs, dont la profitabilité de 2 % en moyenne est ténue. Cela est sans compter les éventuels surcoûts associés aux changements de pratiques, au recours aux protections alternatives plus onéreuses, qui peuvent se chiffrer en dizaines d’euros. Enfin, le développement des plateformes digitales qui, pour s’implanter, pourraient faire preuve d’agressivité, pourrait servir d’arbitre en créant une valeur de référence officielle pour le produit sans service !

Une opportunité pour la distribution de se réinventer

Même si les modalités de la loi peuvent encore changer, la tendance de fond est donnée et le temps n’est plus à l’incrédulité ni à l’attentisme. Avec une différenciation par le service, que chacun pourra cantonner à la protection végétale ou généraliser, les changements s’annoncent ambitieux :

D’une approche produit à une approche individuelle du client :

  • Structurer et capitaliser sur la connaissance « clients » pour valoriser la proximité relationnelle et construire des offres segmentées répondant aux besoins de chaque population ;

  • Professionnaliser le conseil, quel que soit son objectif, pour pouvoir le valoriser et le rendre différenciant. Cela passera par une contractualisation et une formalisation de l’accompagnement, une valorisation et une facturation ainsi qu’une clarification des responsabilités entre l’utilisateur et le prescripteur ;

  • Proposer des offres répondant à des débouchés connus et maîtrisés pour assurer la lisibilité et profitabilité aux agriculteurs qui s’engageront ;

  • Développer l’économie de la fonctionnalité, c’est à dire la vente d’un usage plutôt que d’un produit, un engagement de protection, plutôt que des produits pour protéger ;

  • Déployer l’Omnicanal pour répondre aux clients de toutes les manières possibles à tout moment.

L’excellence opérationnelle !

  • Optimiser les lignes de coût, avec la suppression de toutes les ruptures de charges, onéreuses financièrement mais aussi en réactivité face aux clients ;

  • Disposer d’un système informatique performant pour s’assurer d’une fluidité de l’information à tout instant et d’une efficience de son traitement ;

  • Adapter les moyens, qu’ils soient humains ou matériels, à chaque offre et chaque segment de clientèle et stopper la moyennisation pour ne dépenser que ce qui est strictement nécessaire à la mise en œuvre.

De nombreuses pistes pour une transformation ambitieuse qui profitera principalement aux entreprises volontaires, agiles et pragmatiques ! »


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